Souviens-toi, dans l'épisode précédent, je passai une salle nuit ponctué de bip bip alarmants dûs à une tension trop élevée malgré un traitement en urgence...
5h00
J'ai mal dormi, très mal. Et j'ai faim. Une sage-femme vient relever les tensions prises durant la nuit, elle fait les gros yeux. J'ai oscillé entre 15/9 et 17/9. Elle me demande de me calmer, de me détendre.
Elle m'annonce que le Dr Turc veut, je cite, "sortir le bébé", qui visiblement (enfin, selon le monito) a un peu de mal à encaisser les contractions que je ne sens toujours pas. Son rythme est bon, mais elle ne tient pas une forme olympique ma fille. Je lui parle pendant des heures, je commente une série, je lui demande de se faire belle surtout. Il faut au moins que l'une de nous deux le soit. Parce que moi, je suis bouffie, mal peignée avec une mine de grande malade.
8h00-8h30
On apporte le petit déjeuner. J'ai envie de crêpe au nutella. Sur le plateau, il y a un petit pain, une petite confiture, une portion de beurre, une boisson chaude et un yaourt. Je peux me brosser pour les crêpes. Je peux me brosser pour le ptit dèj aussi d'ailleurs. Parce qu'on m'informe gentiment que le ptit dèj c'est pour ma voisine ! Pas encore d'instructions pour moi. On vient m'annoncer qu'on va me poser le fameux Propess, on me demande si je suis d'accord. Je réponds que oui, ce que je ne veux pas, c'est la perf d'ocytocine qui selon une légende urbaine de mon cerveau donne des contractions super violentes. La sage-femme m'annonce aussi que c'est une pro du Propess qui va me le poser. "Avec elle, les Propess sont toujours efficaces !" Elle m'explique très précisément le principe de ce truc.
Ce tampon tout petit et tout plat gorgé de prostaglandines, va faire mûrir mon col et accélérer le travail, qui dure mollement depuis cette nuit.
Après la pose et un temps de repos allongé de 30 minutes, le Propess est sensé agir en 12 à 24 heures. Et ça ne marche pas chez toutes les patientes. Et blablabla. 12 à 24 heures. Et mon cul c'est du poulet.
9h00
Une nouvelle sage-femme au visage fermé vient me poser le tampon. J'en ai marre des doigts. Je ne les compte plus depuis hier. J'ai peur de cette femme. Elle est méchante, ça se voit à son visage. Je fais du délit de sale gueule, j'ai honte.
Je dois me détendre, mettre mes poings sous mes fesses... et souffrir. Ça fait un mal de chien, je chouine un peu. Cette femme veut que le Propess me sorte par la gorge ou bien ? A la fin, je regarde ses gants, ils sont plein de sang. Je me mets à pleurer. Je veux mon mari.
9h10
Monsieur Nanou arrive. Il me prend dans ses bras sans rien dire, il sait ce qui vient de se passer, je l'ai appelé avant.
Nous attendons patiemment que j'ai le droit de me lever. Une gentille aide-soignante, Elisabeth, vient nous saluer. Elle est douce et adorable. Je ne l'oublierai jamais. Surtout pas ce conseil : "Si vous voulez que ça s'active : MARCHEZ ! Je connais un autre moyen mais ici, c'est pas possible !" Avec un gros clin d'oeil... Elle a mon humour, un humour fri-fri... c'est un signe ! C'est décidé, nous irons marcher. De toute façon, en 12 heures, on peut en faire des balades !
9h30-10h00
Nous marchons. Après avoir parcouru les deux étages de la maternité, on visite les autres étages. Parfois, je m'arrête de marcher pour m'accrocher à mon mari. J'ai mal, c'est venu d'un coup.
Monsieur Nanou scrute sa montre. Incroyable : contractions toutes les 5 minutes. Je n'y crois pas, c'est sûrement mon col qui s'ouvre. Et comme il saigne un peu...
10h10-10h30
Je crois que c'est à ce moment-là que j'envoie mes derniers SMS. Je tiens régulièrement informées les Follasses et ma soeur Nanny. J'écoute son dernier message : "Je voulais te dire que j'étais contente de t'avoir comme soeur, j'ai tellement peur pour toi..." Je la rappelle et lui dis en rigolant que je ne vais pas mourir tout de suite ! Je raccroche vite, j'ai vraiment très très mal. Monsieur Nanou insiste pour que je retourne dans ma chambre. On vient m'examiner, je suis toujours à 2 cm.
10h30-11h00
Je déguste. Curieusement, je pense au blog. Et je me maudis de vous avoir réclamé des contractions douloureuses. Ayè, je viens de les recevoir. Merci les filles.
J'ai mal mais je suis suffisamment lucide pour appliquer mes exercices de respiration. Inspirer sur 5, souffler sur 12. En ce qui concerne la sophro, le déplacement du négatif toussa toussa, j'ai trop mal pour y penser.
Monsieur Nanou me masse, me caresse la nuque, m'embrasse. Je gère les contractions tant que je peux. Je sens très bien la fameuse vague de douleur monter, monter, puis redescendre. je peux récupérer et souffler entre chaque contraction. Pour le Haricot, j'ai eu mal tout le temps, sans répit.
11h30
Je me suis mise à genou sur mon lit, tout au bout, en me tenant au barreau. Je me balance de gauche à droite, comme je l'ai appris chez la sage-femme. J'ai si mal que je suis dans une bulle, je ne parle pas, je me concentre sur ma respiration. Monsieur Nanou le sent, il ne me dérange pas. CLAC ! Je viens de perdre les eaux ! Quelle sensation bizarre, comme un ballon qui éclate légèrement à l'intérieur. Suivi d'un flot très chaud et abondant.
J'ouvre les yeux : "J'ai perdu les eaux, va chercher la sage-femme !" Mon mari se précipite dehors, il revient vite avec non pas une mais trois sage-femmes.
"C'est pas possible, vous étiez à 2 ! Non mais ça m'a l'air rapide votre truc là, je le sens pas !"
Elle envoie sa collègue voir s'il y a de la place en salle de naissance. Apparemment c'est l'affluence aujourd'hui.
La collègue revient. Pas de place. Je souffre et j'ai du mal à ne pas hurler. On me réexamine, je suis à 4 cm. Je suis trempée, il faut que j'enlève mon pantalon de pyjama. On m'aide un peu... Dans ma protection imbibée, il y a des traces vertes. Mon liquide est teinté, ça signifie que ma fille a rejeté du méconium dedans...
Plus le temps d'attendre, place ou pas, on y va ! "Monsieur, prenez le sac, l'appareil photo, allez, allez, on y va !"
Je pleure et on me demande pourquoi. Ce n'est même pas la douleur. C'est l'émotion, ma fille va arriver et mon mari est là. C'est tellement différent de la première fois, je me sens entourée, même si je souffre beaucoup. Je raconte tout ça à l'une des sages-femmes, je lui dis que là tout de suite, je me sens très amoureuse. Elle sourit en pleurant un peu. Elle s'appelle Cécile. Elle mettra ma fille au monde.
11h40
Ça ressemble à un épisode d'urgence. Monsieur Nanou partage mon avis avec le recul. Le personnel soignant (impossible de savoir qui) court avec mon lit roulant. Je suis recroquevillée sur le côté et je souffle sur 12. Je n'arrête pas de répéter "inspire 5, souffle 12", entre deux prières. Parce que j'ai mal et j'ai peur. J'ai peur de mourir en fait.
Je dis à la sage-femme que cette fois, je ne serai pas capable d'accoucher sans péri. Je lui demande d'appeler l'anesthésiste. Elle me répond que je gère bien et... que l'anesthésiste est au bloc. Et même s'il n'y était pas, je n'aurai pas le temps d'avoir la péri, le bébé arrive bientôt. Je me dis que ce n'est pas possible, le travail a réellement commencé il y a si peu de temps...
11h45
Monsieur Nanou me donne l'heure quand je le lui demande. Je tiens sa main mais je dois la lâcher. Je dois être seule en salle pour qu'on me "prépare". Je ne veux pas, je veux mon mari. Je le dis, je le crie.
Mais non, j'entre seule en salle de naissance. Je dois changer de lit... l'effort est insoutenable. On me pose une perfusion d'antibiotiques (en préventif, le Haricot étant né avec du streptocoque B), un nouveau monitoring... Je suis toujours sur le côté, ça me soulage et je "sens" mon bébé qui descend dans cette position.
11h50
Les sages-femmes ont dû en avoir assez de mes "je veux mon mari !", parce qu'il est là. On lui a dit que ça ne serait plus très long. Il prend ma main et ne la lâchera plus. Lui, les sages-femmes, la puéricultrice qui prendra en charge ma fille, tout le monde me dit que je suis formidable, que ce je fais est super. Je suis contente, j'ai mal.
Je ne gère plus du tout ma douleur et je commence à crier. C'est très violent. La douleur est insoutenable.
Mon mari ne me quitte pas des yeux, des mains. Il humecte mon front, il m'embrasse, je crois qu'il pleure un peu. Ma douleur le déconcerte. Il tente de me mettre un masque à oxygène que je repousse car il m'empêche de respirer correctement.
Nous sommes tous les deux paniqués par les bruits du monito : à chaque contraction, la cavalcade des battements de coeur ralentit. Je pleure en criant que je ne veux pas que ma fille souffre.
11h55-12h30
Sensation terrible. Appelons un chat un chat : j'ai envie de faire la grosse commission. On me dit que non, je réponds que si. Ça me rappelle la naissance du Haricot.
En fait, c'est mon bébé qui s'engage, la naissance approche. Elle souffre toujours un peu à chaque contraction mais son rythme est meilleur.
On me réexamine, ça fait toujours aussi mal.
"Votre fille est bientôt là..." Nous sommes tellement émus qu'il n'y a pas de mots pour le décrire. J'ai mal mais je m'accroche au regard de Monsieur Nanou.
On nous dit que la tête est engagée et que je peux pousser quand je le souhaite. Je peux restée allongée sur le côté si je veux, on installe un étrier pour que je puisse remonter la jambe du dessus. Je sens bien que la tête est tout au bord de la "sortie", ça me brûle un peu. Comme la première fois, j'ai l'impression que quelque chose va craquer.
Je pousse une fois regardant mon mari dans les yeux et en serrant sa main très fort et j'entends "Coucou ma mignonne, bienvenue !" Puis Cécile me dit d'arrêter de pousser, puis de recommencer pour les épaules. Elle me demande si je veux attraper le bébé. Je réponds non, je ne sais pas pourquoi, ça ne m'a jamais tentée. Je pousse donc une seconde fois...
Et ma fille est là. Il est 12h30. Elle pousse un petit cri de chat, même pas un pleur, juste un petit gémissement. On a coupé son cordon tout de suite. On la pose près de moi, entre son père et moi. Elle est chaude et moelleuse, elle rosit doucement. Puis ouvre les yeux. Ils sont gris, très clair et notre Fève est blanche comme son père !
Nous pleurons tous les deux beaucoup. Mon Nanou me félicite, encore et encore, pour ce que je viens de faire, ce que je viens de lui donner. Je lui réponds que sans lui, je n'aurais jamais pu.
Nous regardons notre enfant, émerveillés. L'écrire, me fait encore pleurer. Elle est tellement belle dans son petit lange blanc, elle a plein de cheveux et presque pas de sourcils. Je regarde ses petits pieds : ce sont ceux de son père ! Le petit orteil est beaucoup plus petit et plus bas que les autres. Je ris, tout le monde rit en entendant "elle a ton petit orteil en dénivelé !"
Cécile reste avec nous, à l'affût du placenta qui ne veut pas sortir. Elle est très discrète et se tait mais elle nous observe tous les trois. Elle a dû vivre des tas d'accouchements mais elle essuie ses larmes...
12h50
Le placenta tarde à sortir, on me demande de pousser un peu. Après quelques efforts, il sort enfin. Il est très petit et déjà un peu calcifié. Il était temps que notre fille naisse.
Après ce dernier acte médical, je dois confier ma fille à Cécile. Il est temps qu'on s'occupe d'elle. Monsieur Nanou veut rester avec moi mais je lui demande de suivre sa fille, je ne veux pas qu'elle soit seule. Je sais qu'on va lui faire quelques misères, je ne veux pas qu'elle soit seule. Quand Cécile l'enlève de mes bras, le bébé la baptise d'un méconium vert-noir de toute beauté !
J'ai été à peine "éraflée" selon Cécile. Elle veut tout de même me faire un petit point de suture pour que je ne sois pas gênée en urinant. Je teste le spray de xylocaïne qui m'anesthésie la zone en quelques minutes. Je ne sens rien.
13h10
Mes deux amours reviennent enfin. Mon mari est fier comme tout : elle mesure 47 cm et pèse 2kg810 ! Il dit que c'est génial, même s'il ne sait pas en quoi c'est génial. Le seul petit souci est qu'elle a du mal à réguler sa température. On attend qu'une couveuse se libère mais Cécile nous propose de la garder en peau à peau, tout contre moi avec tout plein de couverture par-dessus.
On augmente également la température de la salle de naissance. C'est Tahiti à l'hôpital. C'est le bonheur aussi.
Nous sommes seuls tous les trois. C'est une chance d'avoir cette intimité, merci Cécile. Monsieur Nanou nous regarde avec tendresse. Je perds beaucoup de sang, j'ai la tête qui tourne et je suis toute pâle. Je préfère lui confier un peu sa fille, j'ai peur de la faire tomber.
Je m'endors un bon quart d'heure, je suis épuisée. Quand je rouvre les yeux, j'ai devant les yeux un papa qui pleure en embrassant doucement sa fille sur le front... Il nous manque notre Haricot, j'ai hâte qu'il partage aussi notre joie...
En sortant de la salle de naissance, j'ai appelé tout de suite l'école de mon fils. La directrice est venue lui annoncer en classe qu'il était grand frère ! Il était heureux, fier et un peu gêné selon sa maîtresse. Alors elle lui a permis de sortir un peu, parce que mon grand fils avait aussi besoin d'avoir quelques larmes pour sa soeur. A distance, mes enfants s'aiment déjà...
Ça fait déjà 11 jours qu'Elle est parmi nous. Les nuits sont parfois difficiles, on le dit mais on ne se plaint pas. Je ne pensais pas ressortir aussi émerveillée de cette expérience. Je sais comment on fait les bébés, je sais comment on les met au monde. Mais quand je La regarde, je me dis que la vie est un miracle.